Ce texte est le troisième témoignage de la série “Enseigner la pratique de l’enquête de terrain”, tirée d’entretiens effectués avec des encadrant·e·s.
Il n’y avait absolument rien sur le sujet des violences sexistes et sexuelles dans l’enquête quand j’étais doctorante, il y a une trentaine d’années. J’ai fait ma thèse sur Mala*, et on était toute une équipe de doctorants et doctorantes à travailler là-bas et à discuter. Entre nous, on parlait de violences sexistes et sexuelles, parce que cette question est très bien documentée localement. Il y a une grande violence des Malanais envers les femmes. Par contre, il y avait aussi une injonction à ne surtout pas en parler en dehors de ce cercle-là, pour ne pas les dénigrer, parce que “seule la lutte politique compte”.
Donc, finalement, il y a eu un véritable apprentissage au fait de se taire et une intériorisation du travail d’invisibilisation de ces questions, une intériorisation du fait que les conditions des femmes sont peu importantes et peu intéressantes. Donc il y a cet apprentissage que l’expérience de domination des femmes malanaises ne compte pas et, plus largement, que notre expérience incorporée, en tant que femmes, ne compte pas. Ce qui compte, c’est des sujets de mecs. Après, c’est sûr, la question des violences sexistes et sexuelles n’était pas centrale à l’époque.
Avec les autres doctorantes, on pouvait parler des violences sexistes et sexuelles qui avaient lieu sur le terrain, mais ça concernait plutôt les violences domestiques. Ou bien sur les risques potentiels de se retrouver entourées d’hommes alcoolisés, donc tout le monde – enfin, les femmes – faisaient attention. Et ça d’ailleurs, l’alcool, c’est un sujet aussi dont on pourrait parler. Parce qu’on n’est pas égal·e face à l’alcool sur le terrain, et les collègues hommes ne parlent pas tellement de la place de l’alcool dans leurs enquêtes et dans les sociabilités. C’est quelque chose qu’on prenait en compte, nous, comme chercheuse.
Mais non, les violences sexistes et sexuelles – qu’on en ait été victime ou témoin -, c’était jamais un sujet au fond. Et on savait que ce savoir aurait été disqualifié, que c’est “des histoires de meufs”, pas intéressantes, pas importantes, pas scientifiques.
*Le nom du lieu a été modifié.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
BADASSES (28 mai 2024). Témoignage 11. Voir les violences sexistes et sexuelles, apprendre à ne pas les dire. BADASSES. Consulté le 15 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/11qdy