Témoignage 9. L’enseignement des risques de l’enquête comme transmission subjective d’expériences 

Ce texte est le deuxième témoignage de la série “Enseigner la pratique de l’enquête de terrain”, tirée d’entretiens effectués avec des encadrant·e·s.

C’est un vrai enjeu, qui ne concerne pas que les femmes cis hétéro, évidemment. Il nous revient de reconnaître et de dire que, dans toute enquête de terrain, y compris quand elle n’est pas de nature ethnographique, il y a des risques. Et donc, on fait attention.

Quand on se retrouve seul·e sur son terrain, on informe des gens autour de soi, on envoie un sms dès qu’on est dans l’espace privé de quelqu’un, d’un homme en particulier. Sans être en parano absolue, il est important d’avoir des pratiques de vigilance. Et il y a des choses qu’on choisit de ne pas faire, et dont on peut ensuite parler, de manière réflexive, parce que ces risques font partie des conditions de possibilité du travail d’enquête et donc participent à déterminer le matériau sur lequel reposera ensuite l’analyse. C’est un enjeu de réflexivité méthodologique et une affaire de conditions de travail, de risques psycho-sociaux.

On sait bien que notre genre nous donne accès à des pans du réel moins accessible à d’autres en même temps que ça nous en ferme d’autres, selon les situations. Ça dépend aussi de la position dans notre carrière, de l’âge, de l’objet de la recherche. Ceci dit, le discours de prévention (plus que celui de la réflexivité) n’est pas sans écueil : pour ma part, je vois bien que le fait d’avoir désormais la responsabilité d’étudiant·es, le fait de vieillir et de repenser à certaines prises de risque personnelles dans le passé, le contexte global d’ignorance de ces enjeux de la part de beaucoup de collègues ont tendance à me faire tenir un discours parfois un peu trop « sécuritaire » !

Une étudiante m’en a fait la remarque, au cours d’un séminaire où j’abordais ces questions, en me disant qu’un tel discours pouvait laisser penser qu’on serait responsables s’il nous arrivait quelque chose, on n’aurait pas fait tout ce qu’il fallait pour empêcher qu’un problème survienne. C’était une remarque très intéressante.  Il faut éviter le maternalisme quand on aborde ces questions-là dans l’enseignement. J’essaie de dire aux étudiant·es qu’il y a des risques, qu’il leur revient d’en prendre ou pas (ce sont des adultes…), mais qu’il faut le savoir en amont. Agir en connaissance de cause, ça change pas mal de choses.

Parfois, je sens que je durcis un peu mon propos, parce qu’il peut y avoir aussi une résistance a priori de la part des étudiantes, surtout en master où on a souvent un rapport un peu abstrait à l’enquête, on ne sait pas à quel point on est engagé·e dans les relations, les lieux des gens. C’est bien sûr aussi très lié à sa propre subjectivité,  sa propre expérience sociale de la domination. Mais ce que j’essaye de dire aux étudiant·es que j’accompagne , a minima, c’est que s’il y a un problème, c’est possible de m’en parler et que si on n’est pas bien sur le terrain, on suspend le terrain.

On peut sortir du terrain, ce n’est que de l’enquête, du travail, ça ne mérite pas qu’on risque sa peau, en tout cas ça ne peut pas être une injonction de la part des enseignant·es. Une chose que je ne supporte pas c’est l’héroïsme dans l’enquête et les récits d’enquête, vraiment c’est insupportable comme implicite, parce qu’évidemment c’est rarement explicite, or c’est quelque chose qui est très présent, qui s’inscrit dans des logiques de concurrence. Je vois bien que ça persiste encore à propos du travail de terrain et dans le rapport à la thèse perçue et conçue comme une épreuve. On doit en chier. Et face à ça, je ne suis pas bien sûre de toujours savoir comment faire

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