Témoignage 7. Les chaines de non-transmission

Ce texte est le deuxième témoignage de la série “Pratiques d’encadrement doctoral et violences sexistes et sexuelles vécues sur le terrain d’enquête”, tirée d’entretiens effectués avec des encadrant·e·s.

Ce qui est compliqué, quand bien même on pense qu’il faut soutenir les doctorants et doctorantes victimes de VSS, c’est que parfois on ne sait pas qu’il leur est déjà arrivé quelque chose – quand on les croise ponctuellement dans un colloque, sur un jury de soutenance, dans un comité de thèse, etc. J’ai ainsi fait une expérience malheureuse : je n’ai su qu’a posteriori qu’il était arrivé quelque chose de grave à une doctorante sur son terrain, alors que j’étais en charge d’évaluer son travail. Or non seulement je ne l’ai pas deviné en lisant son travail mais je ne suis pas partie du principe que cela pouvait en être une clé de lecture, alors même que son terrain présentait certaines caractéristiques de risques typiques.  

Je lui ai posé la question, pendant une discussion scientifique, de la raison pour laquelle la question du viol, qui s’imposait en raison du sujet, n’apparaissait pas dans son retour sur son enquête. Alors que j’aurais dû me dire : elle travaille sur tel sujet, qui implique de la sexualité, elle est réflexive, elle a fait un beau travail et le viol n’est nulle part, c’est peut-être parce qu’elle-même y a été plus ou moins directement confrontée. Elle n’a pas vraiment su répondre. Je n’ai pas insisté bien sûr mais j’ai appris, après-coup, qu’elle avait été agressée sur son terrain… Je me suis sentie tellement mal rétrospectivement, c’était terrible de ma part de me comporter de cette façon… Ça, ça a été un moment difficile parce que je me suis dit d’accord, donc en fait je suis capable de faire un truc comme ça…

J’ai ensuite beaucoup discuté avec la personne qui l’encadrait ; de son côté, elle se sentait coupable d’avoir eu connaissance de l’agression sans savoir quoi en faire quand elle l’a l’appris alors qu’elle-même, dans sa propre thèse, vingt ans avant, sur des objets un peu similaires, avait vécu les mêmes trucs…  On participe parfois à des chaînes de non-transmission, qui s’édifient notamment sur du déni et sur le refoulement de nos propres traumatismes ». 

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